A l’occasion de la sortie de sa nouvelle comédie sociale “La Lutte des classes” avec Edouard Baer et Leïla Bekhti, on a rencontré Michel Leclerc, qui revient sur cette histoire un peu autobiographique et parle de son attachement à ses personnages.
AlloCiné : Quelle est la part autobiographique du film ?
Michel Leclerc : Il y a une part autobiographique dans la mesure où le point de départ de La Lutte des classes est né d’un souci personnel qu’on avait rencontré par rapport à nos enfants à l’école de Bagnolet, où on a habité pendant dix ans. D’ailleurs on a tourné dans l’école où étaient nos enfants ! A un moment donné, notre fils a eu des problèmes à l’école – du moins on s’est dit qu’il avait des problèmes – et notre angoisse de parents, à Baya Kasmi [co-scénariste du film] et moi-même, est montée en crème chantilly. Les parents ne sont pas dans l’école et ne peuvent qu’interpréter ce que leur enfant dit de ce qui s’y passe.
Et on s’est aperçus que le problème de l’école publique était quelque chose de très présent aujourd’hui, dans beaucoup de familles. Beaucoup de parents évitent de mettre leur enfant dans l’école de secteur dont ils dépendent, essaient de tricher sur leur adresse, ou décident de les mettre dans le privé. Ce qui nous est arrivé, c’est qu’un jour, la tension est montée, on a décidé de changer notre enfant d’école et ça nous a créé une grande inquiétude, car on s’est posé la question de la fidélité à nos valeurs. Je suis fils de prof et pour moi, l’école publique est le socle de la République et doit être l’endroit où les différentes classes sociales se rencontrent, donc c’était très compliqué.
Vous questionnez les valeurs de la gauche à travers ce couple. C’est quelque chose qu’on trouvait déjà dans Le Nom des gens par exemple. C’est quelque chose qui vous tient à cœur ?
J’interroge surtout les valeurs humanistes. Ce qui m’intéresse, c’est de montrer des personnages qui sont enferrés dans leurs propres contradictions. En même temps, c’est très important pour moi de ne pas porter de jugement. On peut se moquer de personnages, mais je veux qu’on soit en empathie avec eux, qu’on partage leur point de vue, leurs tourments et aussi qu’on rie avec eux. Pas seulement les personnages principaux d’ailleurs, les autres aussi. Je trouve ça beau, des gens qui s’interrogent sur leur courage, leur lâcheté, qui doutent de savoir s’ils sont de bonnes personnes ou pas.
On peut se moquer de personnages, mais je veux qu’on soit en empathie avec eux.
C’est vrai que vous semblez avoir une bienveillance pleine et entière pour vos personnages et ce n’est pas si fréquent !
On voulait à la fois traiter d’un sujet difficile, la mixité à l’école, le phénomène de ségrégation selon la classe sociale, sans l’édulcorer, donc un désir d’aller droit sur le sujet, quitte à choquer, mais en même temps, la bienveillance est indispensable, l’humanité des personnages permet de parler de tous les sujets. Quand on a de l’empathie pour un personnage, il peut se permettre d’aller loin, de dire parfois des horreurs. Par exemple, le personnage de Leïla Bekhti va jusqu’à gifler un môme, mais tout de suite après elle s’en veut d’avoir fait ça.
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Le couple Leïla Bekhti/Edouard Baer étonne au premier abord, mais fonctionne à merveille, comment avez-vous décidé de travailler avec ce duo ?
Pour Edouard Baer, on en revient aux mêmes enjeux que pour la question précédente. Quand vous avez un personnage comme celui de Paul, qui est parfois provocateur et violent, qui frôle parfois l’antipathie, si vous le faites interpréter par quelqu’un qui porte sur lui une sympathie – et c’est le cas d’Edouard Baer – vous pouvez aller loin avec le personnage car vous savez que le spectateur ne va pas perdre de la sympathie pour lui. C’est aussi un personnage qui se fait un théâtre à lui-même. A l’inverse, le personnage de Sofia est quelqu’un qui essaie toujours d’arranger et de comprendre tout le monde et Leïla est comme ça, elle a une grande sensibilité et cette idée que si on fait tous un petit effort, tout le monde peut s’entendre.
Et elle a une vraie fibre comique !
Oui, ils forment tous les deux un vrai duo comique. Dans un duo comique, il y a toujours un auguste et un clown blanc. L’auguste, c’est Edouard Baer, qui fait l’idiot, et le clown blanc, c’est Leïla. Comme dans cette scène dans l’école privée où ils écoutent « J’encule le pape » : lui dit n’importe quoi, elle se décompose et la comédie vient du rapport entre les deux. C’est vrai que Leïla est une formidable actrice de comédie !
A propos de « J’encule le pape », justement : c’est une chanson qui a été écrite pour le film ?
Oui, absolument, c’est une chanson qui a été écrite pour le film. Je viens des années 1990, du rock alternatif, des Bérurier Noir, de Ludwig von 88, donc je connaissais bien toute cette mouvance très remontée, très engagée et pour moi, cette chanson vient de ces années, c’est un signe de la culture de Paul. Il est resté un peu coincé dans cette époque où on se foutait de la gueule de Jean-Paul II car il disait qu’il ne fallait pas mettre de capotes. Il a l’impression d’être toujours le même et il ne voit pas trop que la société a changé, il a un truc anachronique. C’est illustré par la scène où il donne un concert de soutien aux migrants en chantant son tube « J’encule le pape » sans voir que ça leur passe complètement au-dessus de la tête. En même temps, il fait ce concert de soutien aux migrants, donc il a quand même une intention noble et louable, mais il est quand même complètement à côté.
Comment avez-vous déniché les deux jeunes acteurs qui jouent les enfants, notamment l’ado qui est vraiment hilarante ?
Quand il s’agit des enfants, on fait un casting, ici un casting sauvage, car pour moi les enfants ne peuvent pas être déjà comédiens, ils ne le savent pas eux-mêmes. J’ai vu énormément d’enfants et d’adolescents et je suis tombée sur ce petit Tom [Levy] qui est formidable. Il est fils de profs qui ont beaucoup enseigné en banlieue, donc il a baigné dans ces problématiques et il a cette grâce de l’enfance qui fait qu’il était d’une intelligence folle, mais qu’il restait un gamin, avec ses élans d’affection. Il faut vraiment faire attention à ce que l’enfant ne réagisse pas en petit chien savant qui apprend un texte, pour moi c’était important de le mettre en scène et qu’il invente son texte. C’est ce qui fait qu’on peut obtenir quelque chose de naturel. Quant à Mona, je l’ai rencontrée en casting, je lui ai trouvé un ton et une diction particulière et elle me faisait beaucoup penser à ma propre fille ! Elle est super.
On rit beaucoup, on pleure aussi un peu ! C’était important d’apporter cet élément d’émotion assez pure ?
C’est quelque chose qui m’est assez naturel. Cette histoire, mine de rien, si on la prend au pied de la lettre, elle est finalement assez dramatique. Moi, je fais de la comédie, donc à partir de cette situation dramatique, j’essaie de trouver quels sont les axes de comédie, mais au fond, quand l’enjeu pour les personnages est grave, ça transparaît forcément dans le film. Si on a aimé ces personnages et si on a ri avec eux, si à un moment donné on voit qu’ils sont malheureux, on est malheureux aussi.
Parmi toutes les situations un peu cocasses qui s’enchaînent dans le film, certaines vous sont-elles vraiment arrivées ou ce sont des choses qui sont nées de votre expérience et vous avez vos imaginations courir avec Baya Kasmi ?
Les deux, mais il y a des choses qui nous sont vraiment arrivées ! Par exemple, cette scène avec le directeur de l’école : parce que mon fils avait des problèmes notamment par rapport à la laïcité dans son école et qu’il avait dit qu’il était le seul de la classe à ne pas croire en Dieu, on avait rendez-vous avec le directeur qui nous avait montré des photos en disant : « Voilà, j’essaie de leur apprendre qui est qui et à ne pas avoir de préjugés à partir de ces photos. » C’est quelque chose qu’on a vraiment vécu.
La bande-annonce de La Lutte des classes, en salle dès aujourd’hui :
La Lutte des Classes Bande-annonce VF