Yalitza Aparicio et Marina De Tavira, alias Cleo et Sofia, sont deux des femmes du “Roma” d’Alfonso Cuarón. AlloCiné les a rencontrées dans le cadre du Festival 919 de Chapel Hill en octobre dernier.
AlloCiné : Comment avez-vous rejoint “Roma” et que retenez-vous de cette expérience sous la direction d’Alfonso Cuaron ?
Marina De Tavira : C’est une succession d’auditions qui m’a amené à ce rôle. Au début, je ne savais même pas que c’était pour Alfonso Cuarón et tout s’est fait dans le plus grand secret. C’est uniquement à ma quatrième audition que l’on m’a présenté à Alfonso. Je pense qu’au-delà de nos compétences d’actrices, Alfonso cherchait à savoir qui nous étions vraiment en tant que femmes, en tant qu’êtres humains. Il était sans doute à la recherche d’une interprétation instinctive, naturelle et spontanée. Alfonso est un réalisateur rare car il a une pureté de coeur incroyable : tous ces films sont d’une grande humanité. C’est un réalisateur humaniste.
Yalitza Aparicio : Pour moi, ça a été une chance extraordinaire car je ne suis pas actrice de profession. Je suis institutrice. Il y a eu un grand casting organisé à travers Mexico et ma soeur devait y aller pour passer une audition. Mais au dernier moment, elle est tombée malade et je me suis présentée pour la remplacer. C’est ainsi que j’ai décroché le rôle de Cléo, cette jeune femme au service d’une famille de la classe moyenne de Mexico City dans les années 70. Mon audition finale consistait à jouer une scène avec Marina et j’étais très intimidée car c’est une actrice vraiment célèbre au Mexique. J’ai réussi à contenir ma timidité et à convaincre Alfonso de me donner le rôle. Je le remercie, car il a su m’encourager et m’entourer dans mes premiers pas d’actrices. Il m’a donné les conseils dont j’avais besoin et m’a toujours poussé à être moi-même, à faire preuve de simplicité et de naturel.
C’est un film unique car c’est la véritable histoire d’Alfonso Cuarón.
Pourquoi “Roma” est-il tellement unique selon vous ?
Yalitza Aparicio : Déjà, c’est un film unique car c’est la véritable histoire d’Alfonso Cuarón. C’est donc unique pour un réalisateur d’ouvrir son “livre de famille” et de révéler ainsi son passé. En même temps, c’est un film sur la “surprise de la vie”, comment votre vie s’improvise chaque jour devant vous et comment vous devez vous adapter à ces surprises et ces changements. Je pense que tout le monde peut s’identifier aux personnages de Roma, qui vivent à fond leur vie avec passion et dévotion.
Marina De Tavira : C’est vrai que c’est un film sur le quotidien, sur la vie. Pour moi, il y a également une dimension épique. C’est un film sur le courage, sur la force que l’on trouve en soi malgré les difficultés qui se dressent sur notre passage. C’est aussi une histoire de femmes qui prennent les choses en main, qui ne se laissent pas abattre et qui savent rester unies malgré les souffrances dont elles sont les victimes.
“Roma” se déroule dans les années 70 en quoi pensez-vous que son message reste d’actualité ?
Yalitza Aparicio : Beaucoup de sujets abordés dans le film sont d’actualité, comme la discrimination envers les femmes et comment les femmes ne sont pas traitées de nos jours comme les hommes. On peut aussi voir comment, de par le monde, il y a de nombreuses repressions gouvernementales, notamment contre les étudiants qui se dressent contre tel ou tel régime.
Marina De Tavira : Ce film aborde le sujet des femmes indigènes dans notre société, et notamment au Mexique. Force est de constater qu’encore aujourd’hui ces femmes sont malmenées et n’ont pas les mêmes accès que les autres femmes de la société mexicaine. Donc pour moi, ce film est un combat pour les droits de le Femme et surtout des femmes indigènes.
D’une certaine manière, c’est un film féministe.
Quelle a été la scène la plus délicaté à tourner pour chacune de vous ?
Yalitza Aparicio : Sans hésiter, c’est le moment où j’accouche de mon bébé mort-né… Lorsque nous avons tourné cette scène, je ne savais pas que le bébé était mort-né. Et donc lorsque j’ai réalisé toute l’horreur de la situation, je suis devenue totalement paralysée. L’émotion que l’on voit à l’écran n’est pas du jeu, c’est une émotion vraie et spontanée. Une autre scène effrayante a été celle où je vais dans l’océan pour aider les enfants en péril. Je ne sais pas nager et donc la peur que j’affiche est également une émotion pure et sans artifice.
Marina De Tavira : Ce film est un grand-huit émotionnel de scène en scène. Pour moi, il y a une scène où je dois rentrer ma voiture dans mon garage très étroit après que mon mari nous ait abandonnés. La caméra était placée face à moi et j’ai eu une peur bleue de la défoncer. Car à ce moment, je suis saisie d’une grande détresse et je n’étais pas certaine de pouvoir bien contrôler ma conduite. Mais Alfonso a su me guider avec douceur et tout s’est bien déroulé…
Qu’attendez-vous de l’impact de ce film ?
Yalitza Aparicio : J’espère que ce film invite à la tolérance et au non-jugement de l’autre, surtout en raison de son apparence physique, de son sexe ou de son milieu social. On a trop tendance à se mépriser les uns les autres pour les mauvaises raisons. J’espère que la tolérance et l’amour de l’autre l’emporteront toujours.
Marina De Tavira : J’espère que ce film permettra aux gens d’apprécier un peu plus l’importance des liens familiaux. Comment il est important au sein d’une famille de rester solide et solidaire. Et puis, la famille c’est aussi les gens qui sont autour de vous, les amis, les collègues de travail. Je pense que nous devons comprendre le sens du mot famille d’une manière plus universelle et globale. Ainsi pourrons-nous un jour vraiment vivre ensemble avec amour et paix. Finalement, ce film montre comment les femmes sont un moteur, une force extraordinaire pour maintenir l’union de la famille, pour reconstruire ce qui pourrait être détruit par tel ou tel accident de la vie. D’une certaine manière, c’est un film féministe.
Roma, Gravity, Les Fils de l’homme… les plus beaux plans du cinéma d’Alfonso Cuarón
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