Dans l’émouvant documentaire “Coming Out”, Denis Parrot compile, parmi plus de 1200 vidéos postées en ligne, ce moment majeur où des jeunes ont annoncé à leur parents leur homosexualité, bisexualité ou transsexualité. Rencontre.

AlloCiné : Comment est née l’idée de “Coming Out” ?

Denis Parrot (réalisateur) : Il y a deux ans, je suis tombé sur une vidéo YouTube : un jeune Britannique annonçait son homosexualité à sa grand-mère au téléphone et se filmait avec sa webcam. On sentait chez
lui une immense difficulté à parler, la peur de ne pas être compris ou accepté. On devinait aussi qu’il anticipait ce moment depuis des mois ou même des années. La vidéo durait dix minutes, et pendant neuf minutes, avant qu’il ne parvienne à le dire, il y avait beaucoup de silences, de phrases banales du quotidien. Cette vidéo m’a beaucoup ému, non seulement par rapport au dispositif, très simple, mais aussi par ce qu’elle dévoilait de non-dits dans ses silences. Ensuite, j’ai vu qu’il y avait sur YouTube, non pas une ou deux vidéos de ce type, mais des milliers, provenant de différents pays. C’est assez étonnant comme phénomène. J’ai tout de suite su qu’il y avait là un sujet que je voulais traiter.

Si l’aboutissement semble le même -le coming out- les parcours sont évidemment personnels.

Avec votre film, on prend conscience de ce que représente un coming-out, à la fois en tant que “saut dans le vide” et en tant que secret que personne ne devrait avoir à porter aussi longtemps. C’était l’un des enjeux ?

Oui tout à fait. Je voulais montrer à quel point le coming out, ces quelques mots prononcés aux parents, à la famille ou aux amis proches, sont un moment de tension après des mois, des années durant lesquelles ces jeunes ont tout gardé en eux, sans oser en parler. Mais, à travers ces vidéos, le coming out est aussi -il faut bien le reconnaître- une espèce d’instant suspendu plein de suspense : quelle va être la réaction des parents ? Se sont-ils préparés à cette éventualité ou tombent-ils de leur chaise ? Beaucoup de jeunes redoutent une réaction négative, celle qui risque de leur faire perdre l’amour de leurs parents. C’est pour cette raison que j’ai indiqué à l’image l’heure de chaque vidéo : après cette révélation, leur vie ne sera plus tout à fait la même, il n’y aura pas de retour en arrière possible. C’est des moments très cinématographiques pour moi.

On prend également conscience que derrière ce mot unique, il y a autant de réalité différentes qu’il y a de personnes…

Chaque personne porte en soi ses difficultés propres, les humiliations intériorisées, mais également ses espoirs et ses enthousiasmes. Si l’aboutissement semble le même -le coming out- les parcours sont évidemment personnels. Le tout dans des contextes familiaux, et même sociaux, très différents. On n’appréhende pas son coming out de la même façon selon qu’on pense sa famille hostile, indifférente ou bienveillante.

Ces vidéos n’auraient pas pu exister il y a 20 ans et elles ne seront pas les mêmes dans vingt ans. Elles s’inscrivent dans notre société, elles parlent de notre monde occidental actuel.

Combien de vidéos avez-vous visionné et sur quels critères avez-vous retenu les vidéos présentes dans le montage final ?

J’ai visionné plus de 1 200 vidéos de coming out sur les réseaux sociaux, mises en ligne entre 2012 et 2018, pour bien comprendre ce phénomène sur Internet et me faire une idée de ce à quoi allait ressembler le film. Je voulais montrer différents parcours et différentes réactions et aborder certaines thématiques qui m’intéressent : la construction de soi, le regard des autres, les tabous, l’acceptation par la famille, mais aussi, en quelque sorte, le besoin de tester l’amour de ses parents qui est par ailleurs, sans doute, un trait commun à tous les adolescents et jeunes adultes, qu’ils soient LGBT ou non. Tous ces sujets sont passionnants. J’ai considéré ces vidéos comme des images d’archives contemporaines, comme une photographie de notre époque, des années 2010. Ces vidéos n’auraient pas pu exister il y a 20 ans et elles ne seront pas les mêmes dans vingt ans. Elles s’inscrivent dans notre société, elles parlent de notre monde occidental actuel. J’avais aussi dans l’idée que toutes ces paroles distinctes formeraient à la fin du film une parole plus globale, qu’il y aurait comme un fil invisible qui relie tous ces témoignages, que le tout serait différent de la somme de ses parties.

Comment les différentes personnes ont-elles accueilli votre démarche ?

Je voulais que chaque personne comprenne le film que je voulais faire et y adhère. C’était un gros travail de contacter tous ces jeunes et leurs parents, dans le monde entier. En leur montrant le montage, la grande majorité de ces jeunes étaient enthousiasmés par le projet et ont tout de suite donné leur accord. Nous avons seulement eu deux refus de parents qui ne souhaitaient pas apparaître dans le film.

Quelle était leur propre démarche de filmer ce moment majeur et tellement intime, et de le diffuser en ligne ?

S’il n’y avait pas tant de discriminations encore envers les LGBT, y compris dans nos sociétés qui se présentent comme progressistes, ces vidéos ne seraient certainement pas aussi présentes sur Internet. Mais, au fond, je pense que les motivations sont multiples. La principale raison est sans doute de vouloir aider les autres en partageant une expérience intime et difficile, comme une invitation à la force et au courage : “Je l’ai fait, tu peux le faire toi aussi”. Il s’agit aussi probablement de rompre la solitude : beaucoup de ces jeunes vivent plusieurs mois ou plusieurs années dans une forme d’isolement lorsqu’ils ou elles se
découvrent gay, lesbienne, bi, trans… Poster une vidéo leur permet de partager leur histoire, d’être moins seul et d’intégrer un groupe. La caméra leur est peut-être aussi d’un grand secours : en disant à ses parents “Attention, vous êtes filmés, ne dites pas n’importe quoi !”, le jeune se protège d’une certaine façon. Peut-être -c’est après tout dans l’air du temps- existe-t-il également une part de goût pour la mise en scène de soi chez certains jeunes qui ont grandi avec Internet. Cet outil formidable semble susceptible de procurer “quinze minutes de célébrité”, comme une récompense après l’épreuve que ces jeunes viennent de subir. Je suis conscient de cet aspect : certains auteurs des vidéos que l’on trouve sur Internet doivent penser exister, accéder à “la gloire” avec les réseaux sociaux. Mais, selon moi, ce n’est pas leur motivation principale et j’ai écarté du montage les vidéos que je trouvais dénuées de sincérité.

Les choses peuvent être simples, elles devraient être normales, banales

La sélection est globalement “positive”, à quelques exceptions, et est donc porteuse d’espoir là où elle aurait pu prendre un parti pris inverse et dénoncer l’homophobie ou la transphobie à travers une compilation de réactions hostiles à des coming-outs. Etait-ce un positionnement clair dès le départ ou a t-il évolué au fur et à mesure de la construction du film ?

Je ne voulais pas faire un film désespéré et désespérant, mais un film qui montre des coming out. Certains se passent bien, d’autres non. Je voulais tout de même m’attarder sur les familles qui réagissent normalement. Une façon de montrer l’exemple. C’est pour cette raison que mon film s’achève sur Loren, cette fille qui l’annonce à sa grand-mère, qui, en fait, avait tout compris depuis longtemps et qui le prend très bien. Les choses peuvent être simples, elles devraient être normales, banales.

Parmi les réactions négatives, il y a celle que vit Daniel en Géorgie. Dans quelle situation se trouve t-il depuis son coming-out ?

Ses parents l’ont vraiment mis à la porte, avec quelques sacs et son chien. Mais la vidéo date de 2014 et les choses vont mieux désormais. Après la diffusion de cette vidéo, il y a eu un élan de générosité sur Internet et de nombreux dons pour lui venir en aide : un bon côté des réseaux sociaux. Aujourd’hui il a un copain, est avocat, et il défend d’autres personnes LGBT.

Par sa diffusion cinéma, le film touchera de fait une frange réduite de la population. Avez-vous essayé de le diffuser en télévision ou via des plateformes comme Netflix ?

Oui, c’est important que le film soit vu dans un cadre très large. Je suis très heureux puisque le film a touché et donc été acheté par Canal +, Ciné + et la chaine LCP. Quand a germé l’idée du film, je pensais à ces jeunes. Certains se sentent perdus. Je pensais également à leurs parents. Quelques collègues et des amis ont eu l’honnêteté de me dire qu’ils ne savaient pas comment ils réagiraient si leur enfant leur annonçait être homo ou trans. Je parle pourtant de gens qui vivent en 2018, dans un milieu très urbain et qui sont plutôt progressistes… Mais voilà, les parents -en tout cas les parents hétéros- ont toujours autant de difficulté à imaginer leur enfant différent. Certains ont peur de ne pas être à la hauteur si leur enfant fait un coming out. À la suite d’une projection dans un festival, plusieurs personnes sont venues me dire à quel point le film les avait touchées et fait réfléchir en tant que parents sur la façon dont ils réagiraient dans cette situation. Ces personnes m’ont dit qu’elles pensaient avoir avancé là-dessus. C’est exactement le but recherché : faire bouger les lignes, que des parents ne tombent plus dans les pommes quand leur enfant leur annonce qu’il est L, G, B ou T.

Coming Out, au cinéma le 1er mai

Coming Out Bande-annonce VO