Avec Soumission, l’écrivain, soi-disant, ne souhaitait pas entrer au cœur d’une polémique enflammée sur l’Islam. Mais pouvait-il vraiment y échapper?

« Je ne vois pas de roman qui ait changé le cours de l’histoire, des essais, oui » a dit Michel Houellebecq au journal de 20 heures de David Pujadas le 6 janvier dernier. N’empêche, c’est le jour de la sortie de son roman de politique fiction polémique intitulé Soumission que l’attentat terroriste a été perpétré. Et la rédaction de Charlie Hebdo publiait justement, ce jour-là, à sa une, un dessin satirique en référence à ses écrits.

Si l’univers de la fiction relevait de la présomption d’innocence, et si l’art n’avait pas d’impact sur le réel, le jour J de l’attentat, la police n’aurait pas pris l’initiative d’évacuer la maison d’édition de l’écrivain, Flammarion, dès 13 heures. Soit une heure et demi seulement après la fusillade. Et, du reste, la rédaction de Charlie Hebdo, qui ne pêchait que par ses idées au regard de certains, n’aurait pas été décimée. Tout comme, le 8 janvier, l’hebdomadaire Valeurs Actuelles n’aurait pas trouvé pertinent de sortir une couverture coup de poing : « Peur sur la France, et si Houellebecq avait raison ? » avec, en illustration, une femme voilée du drapeau tricolore.

Comment ne pas penser que l’écrivain joue les naïfs façon monsieur Jourdain quand il prétend ne pas envisager que sa description de l’avènement, en 2022, d’un parti intitulé « La fraternité musulmane » et prônant la disparition de la laïcité puisse lui valoir de se retrouver en cœur de cible, plus que d’une polémique, peut-être même des Kalachnikov ?

La pensée, en soi, et heureusement, est une arme. Comment expliquerait-on autrement que Salman Rushdie ait été placé sous protection judiciaire après la publication des Versets sataniques en 1989 suite à la Fatwa lancée contre lui par l’ayatollah Khomeini ? On se souvient que Charles de Gaulle avait condamné à mort l’écrivain et journaliste Robert Brasillach au lendemain de la guerre sous prétexte, écrivait-il dans ses mémoires, que « le talent est un titre de responsabilité ».

Il estimait alors qu’il était une circonstance aggravante car accroissant le pouvoir de l’écrivain. Dans un essai intitulé La responsabilité de l’écrivain datant de 2011, Gisèle Sapiro, sociologue directrice de recherche au CNRS, se posait à son tour la question. Et rappelait les procès intentés à Flaubert et Baudelaire pour outrage à la morale publique et religieuse et aux bonnes mœurs, l’un conséquemment à la sortie de Madame Bovary en 1856, l’autre, un an plus tard, à celle des Fleurs du mal. Elle évoquait la position de Roland Barthes sur le sujet, lequel écrivait : “la question de l’œuvre à l’égard du réel social semble vouée à l’oscillation incessante. Ce dernier croyait fermement à l’intervention sociale du texte littéraire. Tout comme Sartre n’imaginait pas une littérature autre qu’engagée.

Michel Houllebecq a raison de se planquer. Il a eu aussi tout à fait tort, en tant qu’intellectuel ami du sociologue Michel Maffesoli, de sous-estimer l’impact possible des idées qu’il a évidemment le droit d’exprimer. Aujourd’hui, à l’heure qu’il est, l’écrivain a des raisons d’avoir abandonné son plan média et d’avoir quitté les remparts fragiles de sa barre d’immeuble du 13e arrondissement.

Son roman n’a peut-être pas changé le cours de l’histoire, comme il le disait au 20 H mais l’histoire, qu’il le veuille ou non, vient de décider de la signification de son roman.

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