Fin tragique, mais élégance infinie. Le tombeur de ces dames a mené sa vie comme un roman impressionniste. L’histoire d’un marin insatiable d’amours, de paysages, de rencontres et de poésie. Après ses longues traversées, une biographie de est aujourd’hui disponible en librairie.
Acteur, joli cœur, producteur, réalisateur, conteur pour enfants, Bernard Giraudeau a multiplié les expériences. Soif de découvertes, quête d’absolu, fascination pour les femmes, l’étranger… Cet éternel insatisfait a cherché la perfection, jusqu’à en souffrir! Sous chimiothérapie dix années durant, il avait trouvé, dans l’écriture, un apaisement. Bernard Giraudeau est décédé le 17 juillet 2010. Il avait 63 ans.
Bertrand Tessier, journaliste et auteur de livres sur
,
, Romy Schneider et Jean-Paul Belmondo, retrace le parcours de cet exaltédans «Bernard Giraudeau, le Baroudeur romantique», paru aux éditions L’Archipel. Le récit héroïque d’un artiste épris de son public… au point de laisser consumer par sa passion.
?«Il pouvait être difficile à vivre, sembler capricieux, mais c’était son insatisfaction permanente qui remontait en surface, la certitude de pouvoir faire mieux», assure l’auteur. «Cet homme a passé son temps à penser qu’il n’avait pas donné assez aux autres. Mais ce qu’il leur a donné les a marqués à jamais», a-t-il ajouté à l’AFP.??
Anny Duperey, qui vécut seize ans avec lui, témoigne dans cet ouvrage d’une «inaptitude au bonheur». Il le voyait comme quelque chose d’amollissant et dangereux: chaque fois qu’on était vraiment bien il disait: «voilà, on devient vraiment cons».??
«Les gens beaux n’ont jamais de réponse sur les raisons pour lesquelles on les choisit et ça les mine», insiste Bertrand Tessier. Pour cette raison, Bernard Giraudeau cherche très vite à casser son image et refuse la relève de Delon qui s’offre à lui…?
Rappelez-vous…
Petit-fils de cap-hornier, rejeton d’un militaire absent, Bernard Giraudeau, né à La Rochelle en 1947, grandit dans le port de La Pallice.
Sur les bancs de l’école, il s’ennuie. Attend de pied ferme les lettres que son paternel expédie d’Indochine, d’Algérie et les équipées du weekend avec les scouts protestants.
Impatient, démuni, à 16 ans à peine, il s’engage dans la Marine, «pour ne pas finir chez Simca, en usine». Mécano de la flotte, il effectue deux tours du monde à bord d’un porte-hélicoptère. Se coltine putes, plonge et pompon. Lit, en cachette Conrad et Melville. «Pas Proust, impossible. Sur ce Jeanne-d’Arc, je vivais dans le milieu des matelots, des quartiers-maîtres, qui tourne principalement entre la bibine, les jeux de cartes, les grosses plaisanteries et les femmes…», racontera-t-il à l’Express. Lui, le «gringalet», tente de singer les gros bras, sans convaincre personne. «Le môme que j’étais en a pris plein la tronche».
Indonésie, Cambodge, Afrique… Abasourdi par la violence de la mer, des échanges virils, éreinté par le travail, la chaleur des machines, ce moussaillon aux yeux azur se rêve artiste. Il délaisse l’océan, décroche le Conservatoire. Premier Prix de comédie classique et moderne. Le bourlingueur dégingandé fait place au brun ténébreux.
?Lyrisme juvénile, biceps tatoués et nonchalance teintée d’exotisme, Bernard le séducteur brûle les planches. Il crève l’écran en 1973 avec La Poursuite Implacable de Sergio Sollima, et Deux Hommes dans la Ville, de José Giovanni, un polar avec Gabin et Delon.
Dégaine de tombeur, gueule d’ange, ce gentleman enchaîne les succès populaires (Et la Tendresse? Bordel!, Viens chez Moi, J’Habite chez une Copine), puis se complaît dans des compositions plus sombres (Rue Barbare, Hécate, L’Année des Méduses). A la ville, c’est l’actrice et romancière Anny Duperey, qui succombe à ses charmes. Elle devient sa femme en 1977, lui donne un garçon, Gaël, en 1982 et une fille, Sara, en 1985. Le choix du roi.
?Oublié le playboy! Au cinéma comme au théâtre, les rôles se font plus consistants. Encouragé par Ettore Scola, qui le dirige dans Passion d’Amour, Bernard Giraudeau passe derrière la caméra. Après La Face de l’Ogre, un téléfilm dans lequel il met en scène sa chère et tendre, il tourne deux longs-métrages: L’Autre (1990), d’après le roman d’Andrée Chédid et Les Caprices d’un Fleuve (1996), au Sénégal, un opus d’époque, impétueux. Il réalise aussi des documentaires (La Transamazonienne, Chili Norte, Esquisses Philippines) qui témoignent de son goût prégnant pour les horizons lointains.
Interprète frénétique, plus ambigu qu’à ses débuts, Bernard Giraudeau incarne, à l’approche de la cinquantaine, ses personnages les plus marquants: prof gay dans Le Fils Préféré de Nicole Garcia (1995), favori précieux dans Ridicule de son complice Patrice Leconte (1996), industriel phobique dans Une Affaire de Goût de Bernard Rapp (2001), ou homo bourgeois dans le huis clos Gouttes d’Eau sur Pierres Brûlantes de François Ozon.
?La critique et le public s’enthousiasment. Les récompensent pleuvent. Cinq César couronnent ses prestations. Et l’Académie des Molière l’honore pour L’Aide-mémoire (1993) de Jean-Claude Carrière, Le Libertin (1997) d’Eric-Emmanuel Schmitt, et Beckett ou l’Honneur de Dieu (2001) de Jean Anouilh.
?Giraudeau, l’irrésistible, répète sans relâche… lorsque surgit la maladie. Le cancer? Il l’attendait, s’en doutait. Sur scène, le stress l’a toujours rongé. Le trac, paralysé. Les levers de rideaux? Un enfer! «Tous les rôles m’obsèdent. Le perfectionnisme me tue», concèdera cet angoissé.
Qu’à cela ne tienne! Un rein en moins, il reprend sa carrière. Et de plus belle! S’impose un rythme effréné. S’expose en psychopathe diabétique dans Ce jour-là du chilien Raoul Ruiz, cogne fort dans l’haletant Chok Dee de Xavier Durringer, avant de servir, ironique, la perverse Petite Lili de Claude Miller.
?Du Festival de Cannes, c’est le retour cruel à l’Institut Curie. Dans la peau d’un Richard III, mourant, il crache du sang, du vrai. Le cancer, encore. Au poumon, cette fois. Paradoxe: cette fatalité l’apaise.
Epuisé par les métastases, les perfusions, il cesse de se laisser bouffer par son métier. Bernard Giraudeau perd sa naïveté, son orgueil aussi, mais rien de sa beauté légendaire. Il cherche un sens à cette affection. Se soigne, Analyse, sans se résigner: «A la fin d’une représentation, par exemple, quand tout le monde était content, moi, je me fustigeais (…) Tout cela s’est tissé…»
Récidive. On lui retire des cotes. On lui met des plaques. Contraint de jeter l’ancre, il prend la plume. L’aventure littéraire peut commencer.
Ecrire. Cette nouvelle page l’oblige à chercher les choses, en lui. Et surtout, à se mettre à l’écoute des autres. Ces étrangers dont il déplore «n’avoir jamais rien su recevoir». «Egoïste par nature», il dompte son corps, se tourne vers les victimes, cultive l’espoir. Il s’investit à fond dans l’associatif, apprend à se connaître, et à donner.
Pourquoi vouloir tout maîtriser? Pourquoi ce besoin d’être le meilleur? De prendre le risque de tout gâcher?
Auteur des romans Les Hommes à Terre (2004), Les Dames de Nage (2007), et Cher Amour (2009), porteur du projet «On Ira Tous à l’Hôpital», ce battant trouve la sagesse. La force de savourer jusqu’au bout son «bonheur», d’exprimer ses sentiments, de partager jusqu’à l’ultime avec «sa femmes, ses amis, ses enfants».
Justine Boivin
Vendredi 15 juillet 2011
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