Des experts britanniques ont réussi à greffer un cœur qui avait cessé de battre. Une première en Europe qui pourrait répondre à la pénurie de greffons cardiaques? Pas si sûr. Explications.
La première greffe européenne de coeur arrêté a été réalisé début mars à Cambridge, en Angleterre.
Faire face à la pénurie de greffonsActuellement, la vie des patients en insuffisance cardiaque terminale chronique ou aiguë, ne répondant pas aux traitements, dépend de la disponibilité d’un greffon cardiaque. Problème : les greffons sont prélevés sur des patients décédés de mort encéphalique (absence totale et définitive d’activité cérébrale), une condition qui limite le nombre de donneurs potentiels. En France, 700 patients sont inscrits sur la liste d’attente d’un greffon cardiaque de l’Agence de la biomédecine, dont 500 nouveaux par an, indique à Doctissimo le Pr Olivier Bastien, directeur Prélèvement greffes, tissus, organes à l’Agence de la biomédecine. En 2014, seuls 423 ont bénéficié d’une greffe de cœur. Par manque de greffons, mais aussi parce que tous les patients ne sont pas de bons candidats à la greffe, précise le spécialiste. Ceux qui peuvent attendre un greffon sont placés sous assistance circulatoire prolongée ; pour les patients trop âgés, les médecins privilégient l’implantation d’un
cœur artificiel Carmat, une alternative efficace à la greffe totale.Le prélèvement d’un cœur en vue d’une greffe cardiaque est réalisé sur un donneur en mort encéphalique, à cœur battant. Mais depuis quelques années, certains pays ont autorisé le prélèvement sur des patients décédés après arrêt thérapeutique, en milieu hospitalier.Une première mondiale en Australie en octobre 2014Les pionniers sont les Australiens. En octobre dernier, ils ont ainsi transplanté avec succès trois cœurs ayant cessé de battre sur trois patients différents (Doctissimo s’en était fait l’écho dans un article intitulé “
Trois cœurs ayant cessé de battre ont été greffés sur des adultes“). Des Anglais ont réédité l’exploit début mars sur un Londonien, Huseyin Ulucan, devenu ainsi le premier patient en Europe à recevoir un cœur prélevé sur un donneur plongé en arrêt cardiaque.L’intervention a été réalisée par l’équipe de Stephen Large, chirurgien conseil auprès de l’hôpital Papworth à Cambridge. Les médecins se sont appuyés sur les investigations qu’ils avaient menées au cours des dix dernières années, qui avaient donné lieu à un vaste programme de greffe et de dons de reins, foies et poumons à partir de donneurs dont le cœur avait cessé de battre, baptisé Maastricht III. Ils ont appliqué au cœur la même technique qui avait fait ses preuves pour “ressusciter“ les autres organes. Développée à l’hôpital Papworth, elle consiste à restaurer la fonction du cœur arrêté avant son implantation chez un patient en le plaçant dans un incubateur qui va le maintenir pendant trois heures dans les conditions optimales jusqu’à sa transplantation dans l’organisme du patient.Le patient n’a passé que 4 jours en unité de soins intensifs. Depuis, il est rentré chez lui où il continue à faire des progrès remarquables, aux dires de ses médecins. “Nous avons l’espoir que ce type de procédure pourra, à l’avenir, élargir l’offre de greffons cardiaques disponibles pour les patients inscrits sur liste d’attente“, a commenté Steven Tsui, directeur clinique des greffes à l’hôpital Papworth.La France ne prévoit pas la greffe de cœur arrêté“Le programme
Maastricht III a démarré en France fin 2014. Il précise les conditions de prélèvement de reins, foie et poumons après arrêt thérapeutique en milieu hospitalier (arrêt des soins maintenant en vie un patient après arrêt circulatoire, ndlr)“, indique le Pr Bastien. Pour le moment, seuls des reins ont été greffés selon ce protocole. La greffe de poumons après arrêt cardiaque est potentiellement faisable mais n’a pas encore été réalisée. Quant à la greffe de foie à cœur arrêté, la machine n’est pas encore au point, “il ne s’agit pour le moment que d’un prototype“, ajoute-t-il.Le cœur, en revanche, n’est pas concerné par ce protocole en France. “Il n’est pas prévu de prélèvement de cœur dans ce contexte. Ceci n’est pas exclu, des équipes françaises s’y sont intéressées il y a deux ans, mais c’est un prototype très complexe à mettre en œuvre“, indique le Pr Bastien. Autre frein à la greffe de cœur arrêté : “A la différence des Anglais, qui maintiennent moins longtemps en vie les patients en mort encéphalique que les Français, nous souhaitons augmenter l’ensemble des prélèvements“.Normalement, le délai entre le prélèvement et la transplantation d’un cœur est extrêmement court, de quelques minutes, pour ne pas priver le cœur de sang et d’oxygène, et risquer ainsi de le léser ; c’est pourquoi les cœurs arrêtés greffés proviennent de malades hospitalisés en état de mort cérébrale, dont les fonctions de l’organisme sont maintenues artificiellement tant que les proches n’ont pas décidé d’arrêter les traitements actifs faute d’espoir.Selon le Dr Bastien, développer le prélèvement de cœurs arrêtés ne permettrait pas d’augmenter tant que ça la greffe cardiaque, mais permettrait en revanche d’augmenter le délai entre le prélèvement et la greffe. “Un avantage non négligeable“.Amélie PelletierSources :
- Communiqué du Papworth hospital, 26 mars 2015.
- Entretien avec le Dr Olivier Bastien, directeur Prélèvement greffes, tissus, organes à l’Agence de la biomédecine, mardi 31 mars 2015.