Portrait de l’héroïne du nouveau film de François Ozon, mannequin et actrice aperçue chez Klapisch. Avec “Jeune et jolie”, elle s’impose une grâce et un talent qui ne devraient pas quitter les écrans de sitôt. Marine Vacht, premier acte.

Rien de plus paresseux pour un journaliste que de dresser un parallèle entre une comédienne et le personnage qu’elle interprète à l’écran. Après une demi-heure passée en compagnie de Marine Vacth, on ne peut toutefois s’empêcher de repenser aux mots qu’elle avait choisis en début d’entretien pour décrire Isabelle, l’héroïne de Jeune & jolie : “Je ne pense pas qu’elle soit comme les autres. Elle est plutôt éloignée des gens de son âge. Elle n’est pas trop portée sur les soirées, sur la communication avec tout le monde et à propos de n’importe quoi. Elle a quelque chose d’assez mélancolique, d’assez grave.

François Ozon et Marine Vacth © Thomas Caramelle pour AlloCiné

On se dit alors que François Ozon a encore réussi son coup, lui qui, dans le passé, a découvert Ludivine Sagnier (Gouttes d’eau sur pierres brûlantes), redécouvert Charlotte Rampling (Sous le sable) et repéré Michael Fassbender bien avant que celui-ci devienne une icône pour Tumblr (Angel). Jeune & jolie, c’est donc encore l’histoire simple mais émouvante d’une rencontre entre une actrice inconnue et un rôle. Le rôle, c’est celui d’Isabelle, une adolescente secrète –pléonasme. A 17 ans, âge de toutes les expérimentations, elle décide de s’essayer à la prostitution via internet. Elle semble y prendre goût, ce qui provoque la stupeur de ses parents. “Isabelle reste un peu un mystère pour moi, et même pour François je crois. Elle est silencieuse. Et c’est ce qui intéressait François : la suivre, sans la juger, sans chercher à comprendre pourquoi. La prostitution, c’est presque un prétexte. C’est quand même ça qu’a choisi François, mais ça aurait pu être autre chose d’aussi violent comme la drogue.

Jeune & jolie

Le mystère : un mot qui revient souvent dans les portraits, déjà nombreux, consacrés à Marine Vacth. Mais aussi dans la bouche du réalisateur, qui confiait à AlloCiné avoir eu un “flash” en la voyant passer ses essais : “Elle apportait un distance, un mystère. Je sentais que derrière ses yeux, il se passait autre chose, il y avait une autre vie, une vie intérieure. C’est très précieux pour un cinéaste.” Une riche vie intérieure qui, on le devine, lui a permis de s’échapper d’un quotidien un rien terne à Maisons-Alfort auprès d’un père chauffeur-routier et d’une mère comptable. Devenue mannequin à 15 ans après avoir été repérée dans un magasin, elle y a goûté la liberté ainsi gagnée : “J’ai beaucoup aimé voyager, apprendre l’anglais comme ça, être indépendante financièrement tôt.” Elle n’a pas baigné dans un environnement artistique, mais ça ne l’empêche pas d’avoir vu Belle de Jour et À nos amours (“deux films qui m’ont beaucoup plu“) bien avant qu’Ozon le lui suggère au moment de la préparation de Jeune & jolie.

Avec Géraldine Pailhas dans “Jeune & jolie”

Elle a croisé Darren Aronofsky le temps du tournage d’une publicité, mais c’est Cédric Klapisch qui, le premier, la dirige sur un plateau de cinéma. Comme il s’agissait du rôle d’un mannequin (qui cloue le bec au trader Gilles Lellouche dans Ma part du gâteau), l’annonce de casting avait fait le tour des agences.  “On me l’a proposé, j’ai été curieuse, et j’ai fait ces essais“, raconte-t-elle simplement, loin de tout volontarisme. “Je ne me suis pas vraiment sentie mannequin comme je ne me sens pas vraiment actrice“, constate-t-elle avant d’ajouter : “Je n’ai pas tourné depuis un an et ça ne m’a pas manqué.” Pas si passive, elle reconnait qu’un déclic s’est produit lors d’un court métrage tourné juste avant “Jeune & jolie”, L’Homme à la cervelle d’or de Joan Chemla. Elles devraient poursuivre leur collaboration sur un long, encore au stade de l’écriture.

Marquée par Sur mes lèvres d’Audiard (avec une Emmanuelle Devos coupée du monde en raison de sa surdité), Marine Vacth est du genre déconnectée. Accro à aucune série, elle se méfie des réseaux sociaux, surtout depuis la mini-polémique cannoise autour d’une phrase de François Ozon sur la prostitution. “Ca n’avait pas de sens, ses propos avaient été déformés. J’ai été surprise de voir comment une connerie pouvait être relayée par des gens qui n’avaient aucune idée du film”. D’ailleurs, elle ne lit plus trop les interviews. Cannes et sa griserie ? “J’en suis vite sortie. Mais j’en garde un chouette souvenir.” Elle ne compte pas d’ami parmi ses collègues acteurs, et ne suit pas forcément l’actualité du cinéma, même si elle est tentée d’aller voir Les Apaches. Impressionnée par le pictural Mere et fils de l’esthète russe Sokurov, Marine Vacth est une contemplative. “Tout est inspirant. Je vais paraitre un peu bête mais même un ciel sublime, ça m’inspire“, s’excuse-t-elle presque. “Je suis touchée par beaucoup de choses, y compris des choses qui n’ont pas forcément de sens aux yeux de tout le monde.

Sereine, belle et sans manières sur la terrasse d’un hôtel, elle n’esquive pas les questions. Et quand les mots ne viennent pas, son regard vert semble nous dire : “Désolée de ne pas trouver les termes exacts qui traduiraient parfaitement ma pensée”. Ne pas voir dans la retenue de Marine Vacth des angoisses de control freak. Et concernant son image au cinéma ? “Je ne suis pas du genre à regarder 40 fois la même scène pour voir si je suis bien, je fais quand même confiance aux gens.” Un climat de confiance qui était indispensable sur le plateau du film d’Ozon, qui représentait pour elle une plongée dans le grand bain, nudité comprise. “Il n’y avait pas une once de vice ou de chose désagréable, gênante. Tout était doux, délicat, avec beaucoup d’ironie et de blagues.” Sa relation complice avec le chef-op Pascal Marti et avec Ozon (“très fort pour tout passer au sixième degré“) aura été déterminante. Car il ne suffit pas d’avoir défilé et enchaîné les shootings pour être à l’aise face à une caméra. “Avoir travaillé avec son corps aide peut-être à se mouvoir dans l’espace. Mais ça reste très différent, ce n’est pas la même approche, ce ne sont pas les mêmes respirations.

Sur Jeune & jolie, “tout s’est passé très naturellement, sans que je me pose de questions. C’était assez nouveau d’ailleurs pour moi : vivre ce que je vivais sans penser à chaque fois à ce que je faisais. Etre dans le travail.” Elle qui semble traversée par mille émotions et interrogations aurait-elle trouvé une forme d’apaisement dans l’art de jouer la comédie ? Interrogée sur les acteurs qu’elle admire, elle cite Michel Piccoli, Gena Rowlands, Charlotte Rampling et Katharine Hepburn. Un homme secret et trois femmes puissantes. “Les comédiens qui me touchent sont ceux qui dégagent autre chose que ce qu’ils interprètent, dont la vérité va au-delà ce qu’ils véhiculent dans leurs rôles. Ce sont des figures avant d’être des acteurs. Des gens qui dégagent une grandeur, quelque chose de pas définissable.” Souhaitons qu’après Ozon, Marine Vacht croise d’autres cinéastes suffisamment habiles pour lui proposer des rôles qui épousent ses contours “pas définissables”.

Julien Dokhan

Jeune & jolie

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