La création d’un fonds public d’indemnisation des victimes du Mediator sera validée et annoncée le 11 mai en Conseil des Ministres. Mais une fuite laissant supposer l’implication financière des médecins prescripteurs a entraîné une levée de boucliers des syndicats médicaux. Cependant, le ministre de la santé Xavier Bertrand s’est voulu rassurant. Le point sur une situation complexe liée à 30 années de complaisance et de silences.
Un fonds d’indemnisation géré par l’Oniam
Au-delà des polémiques, la création imminente d’un fonds d’indemnisation de toutes les victimes du
Mediator ® est une bonne nouvelle : ce fonds, réclamé depuis 3 mois par 7 associations, s’appuiera,
selon Le Figaro qui a eu accès au texte qui sera présenté le 11 mai en Conseil des ministres, sur l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux et des affections iatrogènes (
l’Oniam). Il ne sera donc pas créé de novo, ce qui aurait été encore plus long à mettre en place.
Ce dispositif appuyé sur l’Oniam devrait permettre,
selon l’Avim (Association d’Aide aux Victimes du Mediator et de l’Isomeride), “une juste indemnisation [des] préjudices, dans un délai raisonnable (un minimum d’une année) auprès du fonds d’indemnisation“.
En pratique, un dossier justificatif à remplir
Une fois la création de ce fonds actée en Conseil des Ministres le 11 mai, il faudra attendre sa traduction législative pour que les indemnisations débutent, sur la base de demandes d’indemnisation remplies via un formulaire dédié : preuves de prise du Mediator ® (ou du
benfluorex, générique) pendant au moins 3 mois, échographie cardiaque révélant une valvulopathie (ou examens démontrant l’existence d’une hypertension artérielle pulmonaire, autre complication plus rare mais grave possiblement liée à la prise d’un dérivé amphétaminique comme le Mediator ®).
En ce qui concerne cet examen-clef pour la reconnaissance du préjudice éventuel, l’Avim recommande de “demander au cardiologue, en plus du compte-rendu, un enregistrement des boucles sur CD Rom ou cassettes“, ce qui permettra aux experts de “visualiser le fonctionnement des valves cardiaques et de mettre en évidence une complication liée au Mediator“.
Le dossier sera ensuite expertisé et débouchera éventuellement sur une indemnisation financière avancée par l’Oniam, ce qui n’empêchera pas une action pénale (individuelle, puisque les class actions n’existent toujours pas en France), beaucoup plus longue à aboutir…
Les payeurs : Servier et les médecins prescripteurs hors AMM ?
Si le principe d’une indemnisation relativement rapide (au regard du système judiciaire français) par l’Oniam semble acté, la question du payeur, qui devra rembourser les frais avancés par l’Oniam, reste pour le moment relativement floue. Toujours selon le Figaro,
qui a interrogé une des personnes ayant participé à l’élaboration du texte, ce dernier prévoit cependant que “les payeurs seront soit le laboratoire Servier soit les médecins qui ont prescrit le Mediator hors des indications reconnues“.
En effet le Mediator ® a souvent été prescrit, comme nous avons pu le constater
dans notre enquête menée en décembre 2010 après de 860 utilisateurs de ce médicament, pour maigrir et non en cas de diabète ou d’hypertriglycéridémie (indications officielles, malgré l’absence d’efficacité différenciante du benfluorex sur ces paramètres).
Grand oublié de ce projet de texte : l’État, via l’Afssaps et la commission de transparence de la Haute Autorité de Santé. En effet on pourrait considérer que la responsabilité de l’État est engagée, en raison de la délivrance de l’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) pour un dérivé amphétaminique, son remboursement et son absence de retrait malgré une inefficacité clinique et des doutes sur sa toxicité cardiaque dès le milieu des années 90 (premier signalement en France en 1999).
Les médecins refusent de payer, soutenus par le ministre de la santéCette possible implication financière des médecins révélée par le Figaro a fait bondir d’indignation les représentants syndicaux, comme MG France, dont le président Claude Leicher a dénoncé le 8 mai sur Europe 1 “une recherche de boucs émissaires“. Mr Leicher affirme en particulier détenir “des documents qui montrent que lorsque des médecins ont eu des doutes et ont interrogé le laboratoire, on leur a répondu que ce produit ne posait aucun problème particulier“ et rappelle la responsabilité de l’Etat :
“Les médecins, pas des boucs-émissaires“ par
Europe1fr
Il est en effet complètement différent de prescrire hors AMM (hors indications officielles) un médicament sensé être antidiabétique et inoffensif (avec des effets collatéraux intéressants, l’amaigrissement dans ce cas précis) et prescrire sciemment un produit que l’on sait délétère pour la santé. Par exemple, si l’on apprenait que les anxiolytiques comme le
Lexomil ®, encore parfois prescrit comme somnifère (donc hors AMM), provoquaient de graves maladies, il est évident que les prescriptions hors AMM cesseraient immédiatement…
Problème : dès la fin des années 70, il a été écrit que le benfluorex était une amphétamine et non un antidiabétique, donc potentiellement dangereuse pour le cur. Le hic, c’est que la plupart des médecins n’ont pas eu accès à cette information, les visiteurs médicaux du laboratoire Servier se gardant bien de rappeler cette particularité inquiétante et les revues professionnelles évoquant ce fait n’étant pas lues par tous, loin de là…
Le ministre de la santé Xavier Bertrand, interpellé à ce sujet dans l’émission C politique sur France 5 (
visible sur le site de la chaîne jusqu’au 22 mai) affirme en tout cas que “les médecins ne seront pas les payeurs. Je le dis très clairement“. Le ministre charge avant tout le laboratoire Servier, dont le médicament aurait déjà coûté plus d’un milliard à l’Assurance Maladie (dont 879 millions uniquement en remboursement des boîtes,
toujours selon Le Figaro, media très présent sur cette affaire).
Réformer le système du médicament
Les médecins prescripteurs hors AMM du Mediator ® seront-ils tout de même inquiétés par la justice ? Et si oui, se retourneront-ils ensuite contre le laboratoire Servier et/ou l’Etat ? Servier indemnisera-t-il correctement les victimes, ce qui semble la moindre des choses ? Ce qui est certain en tout cas, c’est que le maintien injustifié de ce médicament a fait de nombreuses victimes et coûté des centaines de millions à l’Etat français, alors même que ce dernier est surendetté à plus de 80 %.
Il est donc urgent de mettre en place un système permettant de restaurer la confiance, tant du côté du grand public que des professionnels de santé. Souhaitons que les Assises du médicament, actuellement en cours, mais aussi
le travail des inspecteurs de l’Igas, de la commission d’enquête parlementaire,
des professeurs Debré et Even, l
es propositions de la revue Prescrire et de la Mutualité française débouchent sur une optimisation complète et transparente du système français du médicament. Pour qu’il n’y ait plus d’autre
affaire Mediator ®…
Jean-Philippe Rivière
Sources :
– “Mediator : les détails du fonds d’indemnisation“, Le Figaro, 6 mai 2011,
accessible en ligne
– “Dernières nouvelles pour les victimes du Médiator“, éditorial du Dr Dominique Michel Courtois, président de l’Avim, mai 2011,
accessible en ligne
– Interview du Dr Claude Leicher, président du syndicat de médecins généralistes MG France, 8 mai 2011,
extrait accessible en ligne via Dailymotion
– C politique, France 5, 8 mai 2011, vidéo
accessible en ligne (jusqu’au 22 mai)
– “Le Mediator a coûté au moins 1,2 milliard à la Sécu“, Le Figaro, 5 mai 2011,
accessible en ligne
Photo : capture d’écran de l’émission C politique, avec Xavier Bertrand, 8 mai 2011