Une épidémie de grippe d’origine aviaire pourrait entraîner plus de 200 000 décès en France. Bien que ce scénario catastrophe ne soit pas d’actualité, les autorités sanitaires ne peuvent ignorer de tels risques. Régulièrement mis à jour, le plan national de lutte contre ce fléau sera-t-il suffisant ?
Dès janvier 2004, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) redoutait l’apparition d’un virus grippal d’un nouveau genre. Loin du microbe qui nous frappe chaque année (en faisant tout de même plusieurs milliers de décès), l’ennemi tant redouté boxe dans une autre catégorie…
De 91 000 à 212 000 décès… possibles
Depuis la fin 2003, on a compté une soixantaine de décès dus à la grippe aviaire. Ces malades semblent tous avoir été en contact direct avec des oiseaux. “Semblent“, car un cas reste litigieux, et l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) étudie la possibilité d’une transmission dite interhumaine (1). Et c’est bien l’apparition d’un virus mutant capable de se transmettre d’homme à homme qui inquiète les spécialistes. Réunis à Malte dans le cadre du congrès 2005, quelques 800 experts européens ont répété à quel point il prenait la menace au sérieux. Pour le Dr Klaus Stohr, responsable à l’Organisation mondiale de la santé du nouveau département de lutte contre la future pandémie d’origine aviaire, la question n’est pas de savoir si une nouvelle pandémie grippale peut arriver mais quand elle va se produire, dans quelques mois ou quelques années. Il estime ainsi que “Face à une telle menace, il y a urgence pour que chaque pays mette au point des plans de lutte pour limiter les contagions, organiser la prise en charge des personnes infectées et maintenir les activités indispensables à la bonne marche de la collectivité“. Mais sur plus de 200 pays membre de l’OMS, seule une cinquantaine ont mis au point un plan de lutte. Les pays ayant mis leur plan à l’épreuve seraient encore moins nombreux… Les mieux préparés seraient ainsi la Grande-Bretagne, l’Australie, les Etats-Unis, le Canada, l’Allemagne et la France.
En France, l’enjeu est de taille si l’on en juge par les prévisions de l’Institut de Veille Sanitaire (InVS). Une pandémie grippale d’origine aviaire pourrait toucher 9 à 21 millions de personnes et être responsable de 455 000 à 1,1 millions d’hospitalisations et de 91 000 à 212 000 décès !
La France peaufine son plan de lutte
Suivant les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé, la France s’est dotée en octobre 2004 d’un plan articulé en différentes phases selon le niveau de risques d’une possible pandémie mondiale (2). La phase pré-pandémique se décline en huit niveaux en fonction de plusieurs indices d’évolution de la situation : depuis une épizootie (épidémie animale) hors de France jusqu’aux premiers cas de transmission interhumaine.
L’objectif est simple : éviter toute épidémie animale en France, ou au pire la contenir et l’éradiquer tout en prévenant toute transmission humaine. Pour ce faire, le plan prévoit de renforcer les mesures de surveillance du cheptel français, de prévenir les importations des pays infectés, d’informer les professionnels de santé et le grand public, en particulier les voyageurs se rendant ou revenant d’Asie. Sur place, les touristes sont invités à ne pas toucher des animaux ou leurs déjections et à respecter des règles d’hygiène élémentaires (éviter de consommer des produits alimentaires crus ou peu cuits et se laver régulièrement les mains). De retour de ces pays, l’apparition d’un syndrome grippal doit entraîner l’appel du Samu (15). Déjà mobilisés lors de l’alerte liée au SRAS, ces centres sont capables de prendre rapidement en charge de tels cas dans de bonnes conditions d’isolement.
S’il y a épidémie, différentes mesures pourraient être prises : contrôle et fermeture d’établissements publics et privés, restriction des déplacements, réquisition de tous moyens de communication nécessaires, réquisition de tous les locaux et moyens de transport utiles…
Stock massif d’antiviraux, de masques et pré-commande de vaccins
Ce plan prévoit également l’approvisionnement en médicaments, en équipement de protection et la constitution de stocks de sécurité de traitements antiviraux (Tamiflu ® pour l’essentiel).
Fin août 2005, le plan est finalement renforcé (3). A la fin de l’année 2005, la France devrait être pourvue de 140 millions de doses de Tamiflu ® (capables de soigner 14 millions de personnes à raison de deux doses pendant 5 jours), et de quelques centaines de milliers de boîtes de Relenza ®. Il restera ensuite à déterminer qui en seront les premiers bénéficiaires (métiers de santé, pompiers, policiers…) ? Par ailleurs, 200 millions de masques de protection devraient être livrés au début 2006 et des pré-commandes pour 40 millions de vaccins capables de protéger autant de personnes ont été passées au laboratoire Sanofi Pasteur MSD. Le vaccin serait sans aucun doute la meilleure arme face à ce virus. Sa mise au point devrait prendre 4 à 6 mois une fois que la souche sera identifiée. Selon les prévisions de l’InVS, il permettrait de réduire de 72 % le nombre de décès. Par ailleurs, les dispositifs de contrôle sanitaire seront renforcés dans les grands aéroports accueillant des vols internationaux.
L’ensemble de ce plan de lutte devra être géré par le délégué à la lutte contre à la grippe aviaire, Didier Houssin, déjà Directeur général de la santé.
Quelle coopération avec les pays en voie de développement ?
Ainsi armée, la France semble en mesure de réagir rapidement face à une pandémie. Mais qu’en est-il des pays en voie de développement, y compris ceux d’Asie du Sud-Est ? Si l’épidémie intervenait aujourd’hui, la production actuelle d’antiviraux permettrait de couvrir les besoins de 2 % de la population… Et même si les laboratoires Roche entendent augmenter leur production, on sera bien loin de pouvoir offrir un traitement au monde entier. Concernant la production de vaccins, les mêmes problèmes se posent d’autant plus qu’à la différence des antiviraux, ces produits ont une durée de vie très limitée.
Autant dire que certains experts estiment que la production de ces médicaments sera insuffisante et redoutent que les pays producteurs de vaccins ne privilégient leur propre population au détriment des pays qui en ont le plus besoin, voire aux pays chez qui une action précoce permettrait de contenir une pandémie naissante…
Le 30 août 2005, lors de son entrevue avec le Directeur général de l’OMS le Dr Lee Jong-Wook, Jacques Chirac a proposé son assistance technique à l’organisation des Nations Unies. Deux semaines plus tard, c’est au tour de Dominique de Villepin et Georges W.Bush d’appeler à une mobilisation internationale contre ce fléau lors du sommet des Nations Unies à New York. Si ces déclarations de bonnes intentions marquent une avancée, elles restent cependant limitées. L’objectif affiché est un partage rapide des informations et des prélèvements, deux étapes essentielles permettant d’enrayer la propagation de l’épidémie. Responsable de 800 morts dans une trentaine de pays, le SRAS (Syndrome respiratoire aigu sévère) sur lequel la Chine avait gardé le silence reste dans les mémoires… Lors d’une réunion de l’OMS organisée à Nouméa (4), les pays de la région Asie-Pacifique ont approuvé le 21 septembre une stratégie de lutte contre les maladies émergentes telles que la grippe aviaire. Une feuille de route inapplicable sans l’aide des pays riches…
David Bême
1 – Selon le Pr. Sylvie Van de Werf de l’Institut Pasteur, les oiseaux aquatiques constituent un réservoir de virus grippaux qui prolifèrent rarement chez l’homme. Mais chez le porc, les virus d’origine humaine et aviaire peuvent échanger leur matériel génétique et ainsi accoucher d’un nouveau virus capable de se transmettre à l’homme. Le porc avait déjà servi de creuset à la terrible pandémie de 1957. Par ailleurs, plusieurs transmissions du virus aviaire au porc ont été rapportées en Chine en août 2004.
2 – Conférence de presse au Ministère de la santé du 13 octobre 20043 – Réunion interministérielle sur la grippe aviaire du 30 août 20054 – Communiqué du Bureau régional du Pacifique Ouest de l’Organisation mondiale de la santé – le 21 septembre 2005Click Here: United Kingdom Rugby Jerseys